samedi 11 septembre 2010

Analphabète







Mercredi dernier, c’était la journée internationale de l’alphabétisation. C’est ce que j’ai lu dans les journaux. Cela m’a ramené il y a plus de 40 ans d’ici.  Je suis à la maison.  Avec maman. Je devais être malade.  Ou c’était congé.  Ou c’était les vacances. Je ne sais plus, mais je n’étais pas à l’école.  On sonne. Maman va ouvrir. Une dame se présente et dit qu’elle a quelque chose à proposer à maman. Elle entre me dit bonjour. Maman s’affaire. Elle lui sert un café. Puis, elle sort des biscuits. On sait recevoir chez nous.  Pendant ce temps, la visiteuse sort une série de magazines.  Voilà Madame ce que je vous propose, Femmes d’aujourd’hui, le magazine pour les femmes d’aujourd’hui. Elle a le sens de la formule, en tout cas, je m’en souviens encore. Elle feuillette.  Elle explique. Les recettes de cuisine. Les témoignages. Les petits trucs pour le ménage. Etc. Maman regarde la vendeuse.  Elle feuillette. Elle dit qu’elle n’a pas ses lunettes quand la dame lui commente un article intéressant. Dis qu’elle n’a pas le temps, quand elle lui dit qu’elle pourra occuper son temps libre intelligemment.  J’observe sans bien comprendre.  Cela va durer le temps de deux tasses de café et de quelques autres biscuits.  Maman dit oui.  Elle demande deux fois où signer.  Elle s’applique.  Voilà, vous êtes abonnée pour un an. Je vous félicite. La dame s’en va.  Maman ne dit rien et range les magazines dans une armoire.  Je ne comprenais pas.  Maman ne savait pas lire.  Je ne comprenais pas pourquoi elle avait acheté ces magazines.  Je ne demandais rien.  J’ai mis du temps à comprendre que c’était la honte qui l’avait fait se taire.  Elle n’avait pas oser dire à cette femme de s’en aller, que cela ne l’intéressait pas parce qu’elle ne savait pas lire.  Plus tard, j’ai pris conscience de la violence qui était présente. J’ai pris conscience de ce que cela avait du être de devoir esquiver, de faire comme si.  Et je me suis dit que cette femme savait que maman ne savait pas lire, mais qu’elle s’en fichait.  Plus tard encore, j’ai lu ‘L’invention de l’illettrisme’ de Bernard Lahire ( http://www.dailymotion.com/video/x1hmy9_lahire-illettrisme_news.)  Il montre bien comment un discours culpabilisant et dénigrant a été construit concernant les personnes qui ne savent ni lire ni écrire.  La littérature n’étant pas en reste avec, entre autres, ‘L’analphabète’ de Ruth Rendell ou ‘Le liseur’ de Bernard Schlick, où des femmes analphabètes deviennent criminelles du fait de leur ‘handicap’.
Je crois que si, ce jour-là, ma mère avait décidé de tuer cette femme, j'aurais aidé à cacher le corps.



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