vendredi 31 décembre 2010

Dernière mauvaise nouvelle de 2010


Il y a des endroits où l'on passe et on se dit « Tiens, y’avait quoi là avant ? ». Moi, ça m'arrive souvent. Et souvent, je ne m’en souviens pas.  Cette fois, je m'en souviendrai.  'La Maison du porte-plume' a fermé... J'y ai acheté tous mes stylos.  Un stylo quand on aime ça, on en achète plusieurs, beaucoup.  C'est comme les montres pour certains.  C'est comme les chaussures pour d'autres. Moi c'est les stylos.  Sauf lors de voyages, je n'en ai achetés que là.  Voir ce volet fermé et l'avis de fermeture avisant de contacter Maître Untel pour tout renseignement m'a rendu triste.  Il y a des lieux qui colorent une existence, qui marquent une ville, qui font rêver... Bruxelles en compte un de moins. 



mercredi 29 décembre 2010

Je suis complètement battue




Il y a quelques jours, à Bruxelles, une femme a été assassinée en pleine rue.  Des dizaines de coups de couteau. Le dos. La gorge.  On recherche un ancien compagnon ou mari, je ne sais plus.  Mais quelqu’un qui se croyait en droit de la maltraiter, de lui ôter la vie.  Des femmes battues, maltraitées, assassinées par celui avec qui elles vivent, ont vécu, il y en a des dizaines par jour, des centaines par mois, des milliers par an… Trop, trop, trop…

 Eléonore Mercier est écoutante dans une organisation qui se préoccupe des violences conjugales.  Le livre qui a paru – « Je suis complètement battue » - reprend 1653 premières phrases de qui a décidé d’appeler à l’aide, de dire assez, pour soi, pour une voisine, pour une collègue de travail, pour une amie, pour une sœur ou une mère. Et Eléonore Mercier a noté, noté, noté…

Je souffre depuis des années

Je vous appelle parce que mon concubin m’a tapée plus que d’habitude

C’est pour ma sœur qui travaille dans la société de son mari et n’a pas le droit de téléphoner

C’est pour une amie qui reçoit des coups gratuits

J’ai un mari qui n’aime pas la société Je voudrais partir loin Je vis avec mon mari et sa mère, ils veulent tous les deux que je parte

Effrayantes.  Emouvantes. Horribles. Toutes ces phrases sont autant d’histoires immédiatement accessibles, et c’est ce qui rend ce livre d’une force incroyable.  Parfois drôles, parce que maladroites. Souvent insupportables. Banales, comme le mal peut l’être au quotidien, ces phrases glanées au fil des années d’écoute, deviennent un poème, un chant, une incantation, que sais-je… un cri qui nous met face à une violence qui est toute proche…

Ma fille me dit qu’elle tombe dans l’escalier

Je suis le frère de la femme dont le mari prépare l’enlèvement

Mon mari est parti avec une des filles pendant que j’étais chez le médecin

C’est pour une femme victime de violences dont le mari est parti et revient pour la frapper

J’ai entendu à la radio que j’étais dans le même cas

J’ai dit à mon mari que j’allais faire les courses pour pouvoir vous appeler

Une de mes amies est dans un sale pétrin





mardi 28 décembre 2010

Il n'y a rien à Lot Station




Ce qu’il y a de bien avec les vacances, c’est qu’on a pas envie qu’elles se terminent, on a envie de prolonger les journées, ne pas rentrer. Hier soir, on s’est mis à traîner un peu. En montant dans le bus 50, Ugo me dit « Qu’est-ce qu’y a à Lot Station » ? (terminus de la ligne). « Je ne sais pas. On va voir ? » Nous voilà partis vers Lot Station. Le bus, bien achalandé au départ de la Gare du Midi, a perdu, peu à peu, de ses voyageurs. Une vingtaine de minutes plus tard, nous voilà arrivés.

Il n’y a rien à Lot Station, sinon une sorte de gare bunker qui mériterait d’être tagguée davantage. « On aurait dû descendre à Ruisbroeck. Ca semblait joli à Ruisbroeck». L’herbe est souvent plus verte ailleurs comme on dit. Nous n’avons pas repris le bus tout de suite. Nous avons marché le long des lignes ferroviaires. Perdue parmi tous les entreprises, bureaux et autres hangars, il y avait cette vieille cheminée. Le contre-jour donnait l’illusion de nombreuses personnes occupées à escalader la cheminée. Arrivées au sommet, elles disparaissaient.

Au retour, nous ne nous sommes pas arrêtés à Ruisbroeck.


dimanche 26 décembre 2010

Fin de marché



Il est bientôt 14h30. La place du Jeu de Balle et son marché aux puces se vident. Bruits de verre. Bruits de camionnettes qui avancent, qui reculent. Bruits de portes qu'on ouvre, qu'on ferme. J'avance sur cette place assommée de bruits et de débris. Des bouts de vie traînent. Des pages dédicacées, des photos de communion, des dessins d'animaux précis et appliqués. Un homme balaie et pousse ce que d'autres ont décidé d'abandonner. Il sont plusieurs à le suivre. Dès son départ, ils plongent dans la masse de bouts de bouts de ce qui fut quelque chose. Cela me fait penser aux mouettes qui suivent les bateaux de pêche. Je m'approche. Chacun prend, regarde, rejette ou met dans son sac. Ce ne sont pas des mouettes. Ce sont des vautours, des charognards qui plongent leurs mains, leurs crocs dans des objets décharnés.


jeudi 23 décembre 2010

C'est dimanche



C'est dimanche. C'est jour de sortie. Les autres jours, elle mange chez elle. Avec elle. Et parfois avec son chat. Quand il veut bien. Mais c'est dimanche, alors, comme tous les dimanches, elle sort. Elle s'attarde devant les menus. Ce n'est pas pour choisir, cela ne l'intéresse pas. Non, si elle s'y attarde, c'est pour pouvoir regarder qui est à l'intérieur, c'est pour repérer un autre solitaire. Quand elle en voit un, elle s'installe à proximité, dans l'espoir qu'une conversation s'engage. Les bons jours, l'établissement choisi est plein et elle peut s'installer à la même table que l'autre. Il n'est alors même pas besoin de discuter; manger en compagnie lui suffit.

 

mardi 21 décembre 2010

Le bout du Monde


Place Saint-Job. C’est Constantin Nicolaou qui m’y a emmené la première fois. Nous avions brossé un après-midi de cours. Il m’avait dit « On va à la foire ? ». Et il m’avait parlé d’un coin dont je n'avais jamais entendu parler. Tant qu’à ne rien faire, autant le faire loin de chez nous. Nous avions pris le tram et roulé une éternité. Impression d’avoir quitté Bruxelles. Alors que… J’y suis retourné bien plus tard. Une église avec un air de jamais vu nulle part m’a ramené plus de 30 ans en arrière. Impression d’être loin, d’être au bout du monde. Alors que… J’y retourne de temps en temps pour voir Nadia. C’est ma coiffeuse. Elle me raconte ses vacances, la rentrée des enfants, le travail de son mari. Je lui raconte mes vacances, la rentrée de mes enfants. Je n’ai pas de mari. Pendant qu’on discute, elle coupe mes cheveux. Cela prend peu de temps. On s’embrasse, on se souhaite de beaux jours à venir, avec l’espoir qu’ils le seront. Je sors du salon. Je regarde l’église. Elle m’impressionne encore. C’est jour de marché. La foire, c’est pour bientôt. J'y emmènerai les enfants. Je leur dirai "Venez, on va au bout du monde..."


lundi 20 décembre 2010

Rien



Trois ans sans se voir. Facebook, c'est ça aussi, reprendre contact avec quelqu'un qui a fait un bout de chemin sans qu'on en sache rien ou presque. Ce fut un beau moment comme on dit, l'un de ceux qui resteront, dont on se souviendra.
Repas 'Au vieux Laeken'. Carbonnades frites, parce que chez moi personne n'aime les carbonnades. On parle, on se souvient, on projette, on se reverra.

'C'était bon?'
'Très, merci'
'Moi, je prendrai un café'
'Moi, rien, merci'
'Rien? Je vais voir si j'en ai...'
'En tout cas, si vous trouvez Rien, vous aurez résolu une des grandes énigmes philosophiques'
Il est parti le sourire aux lèvres et est revenu avec ceci.

Belle journée. J'aurai appris que Thierry chausse du 48 et que le Rien existe, il suffit de le demander.


samedi 18 décembre 2010

Les anges déchus


 Au détour d’un couloir, je les vois. Ils sont occupés à se dépouiller de leurs ailes. L’opération prend de longues minutes. Chacun ôtant les plumes à l’autre. Aucun mot n’est échangé. Seule une expression de tristesse prend, peu à peu, place sur leur visage. De leurs trois mètres, il ne leur reste bientôt que la taille d’un homme moyen. De leur superbe, il ne reste, après ces longues minutes, que quelques mouvements gauches et désolants. Ils vident chacun un sac et choisissent des vêtements. Ils n’ont plus aucun regard l’un pour l’autre. Ils s’habillent. Les plumes passent progressivement du blanc au gris, comme des dents mal soignées. Ils terminent. Ils regardent autour d’eux. Ils partent et vont se mêler à la foule.


jeudi 16 décembre 2010

Mais qu'est-ce que je fous là?



Il m'a fallu quelques minutes pour m'assurer que ce n'était pas moi sur la photo.  Mais avant, quelle angoisse! Même regard idiot, mêmes sourcils trop fournis, mêmes lèvres inexistantes, même nez trop long... J'étais devant moi et je me disais, mais bon sang comment ils ont ça? Et puis, je me suis dit que non...  même si prises séparément - yeux/nez/bouche - les parties du visage sont exactement les mêmes que les miennes, mises ensemble, c'est pas tout à fait ça... enfin, j'espère... 


Envie de vérifier?  http://www.facebook.com/#!/photo.php?fbid=1514099374465&set=a.1593672003731.89054.1293868527


mercredi 15 décembre 2010

Mon bébé est nul




Dans les journaux, on reparle du redoublement… the ultimate weapon des enseignants qui n’ont rien de mieux à proposer.  On ne me fera jamais croire qui si un élève est obligé de redoubler, ce n’est pas d’abord un échec de l’enseignant.  Enseignant qui, par ailleurs, est juge et partie… peu importe ce qui se passe, ce sera l’enfant qui sera sanctionné.  J’ai été élève, je sais ce que c’est. Et si je n'ai pas redoublé; mais on redoublait moins à cette époque et croyez-moi je ne suis pas plus malin que mes enfants; c'est que j'ai eu de la chance ou que j'ai su répondre aux attentes des enseignants. Rien d'autre. Soit.  Admettons qu’en redoublant tout s’arrange… Mais c’est tout le contraire ! Les chiffres indiquent que 1 enfant sur 20 redouble en primaire, 1 sur 7 pour les trois premières années de secondaire, 1 sur 2 pour les trois dernières années… On ne trouverait pas plus à redire si l’évolution était inverse, mais là… Si cela sert à quelque chose, j’aimerais savoir à quoi.  Les pays qui pratiquent le redoublement intensif sont aussi ceux qui traînent en fin de liste aux tests PISA (qui mesure à l'échelle mondiale le niveau de l'enseignement), les premières places étant occupées par les pays qui ne le pratiquent pas.  Si ce n’est pas bêtise, maltraitance sur mineurs et corporatisme !

Mais asseyez-vous… (il paraît même que la ministre s’en alarme…) 5% des enfants redoublent en 3e maternelle !!! Redoubler en maternelle !!! Si ça c’est pas une entrée en grandes pompes dans la vie, je n’y connais rien.  Redoubler en maternelle ??? Ils ont raté quoi les gamin(e)s, la farandole ? le piquetage ?  il partage pas assez ses affaires ? Ooooh, les acquis nécessaires à son passage en primaire ne sont pas là… les O ne sont pas assez ronds sans doute… Outre que l’enseignement maternel n’est pas obligatoire, et ne devrait pas porter à quelque conséquence que ce soit ; et donc chers jeunes ou futurs parents, ne mettez pas vos enfants en maternelle, on ne sait jamais que les jambages de ses m ne soient pas suffisamment esthétiques ou qu’il oublie les paroles de la poule sur le mur qui picore du pain dur ; quel pedigree on lui prépare…

Vous savez quoi, je parie que dans quelques années, des bébés rateront à la crèche.  Ils ne mangeront pas assez vite.  Ou ils ne dormiront pas assez.  Ou ils chieront trop souvent… allez savoir… En tout cas, je ne ferai plus de bébé, trop peur qu’il soit nul.


mardi 14 décembre 2010

Début et fin de l'histoire



L’un découvre, l’autre contemple. L’un espère, l’autre attend. L'un ne s'étonne pas, l'autre ne s'étonne plus. L'un croit et l'autre sait que tout est possible. L’insouciance leur est commune. L’arbre et le banc les unis. Je me vois ayant été. Je me vois en devenir. Les interrogations demeurent-elles les mêmes ?

dimanche 12 décembre 2010

J'étais à ses pieds


Narbonne, été 2008. Nous nous sommes arrêtés. Fatigués, mais satisfaits de la route. « Bonsoir, nous avons réservé ». « Voici votre clé, bon séjour ». Nous entrons, nous nous embrassons. Elle va se doucher. Je m’étends sur le lit et je ferme les yeux. Je me sens bien. Elle revient. Belle. Désirée. Je la regarde. Puis, je baisse les yeux. Je suis à ses pieds. Je ne lui dis pas. Peu de jours séparent ce moment de la séparation. Je ne le sais pas encore. Le sait-elle déjà? J’étais à ses pieds. Et je ne lui ai pas dit.


mercredi 8 décembre 2010

La peur (2)



Un rare instant de calme. Je ne sais pas ce qu'il a vu, mais il arrête de gesticuler. Pourtant, on continue à l'éviter. J'en profite. Clic. Je profite de lui. Clac. Il n'en sait rien. Il regarde dans son panier. S'y trouve-t-il quelque chose? Depuis que je l'observe, je n'ai encore vu personne s'en approcher. Une enfant vient vers lui. Une femme crie. Trop tard, elle est devant lui. Il la regarde. Il sort une petite fleur de son panier et il lui donne. Elle sourit et repart en sautillant.


lundi 6 décembre 2010

La peur



Il m'arrive de les croiser. L'ours s'accroche toujours à lui. Peur de la ville. Peur des hommes. Parfois, il déambule à vélo, l'ours s'accroche encore plus fort. Peur des voitures. Peur de la rue. Alors, parfois, il se cache. L'ours n'a plus peur, il semble, enfin, plus serein. Cependant, il se met à l'écart. Il se coince à l'abri des regards. Il recherche un endroit où étendre leurs carcasses fatiguées. Il veille à ce que l'ours ne le lâche pas. Qui sait, il aurait peur et par maladresse effraierait les bonnes gens qui exigeraient qu'on s'en débarrasse. Alors, ils se cachent. Alors, ils évitent les regards.


samedi 4 décembre 2010

Le soir tombe



Le soir tombe. La nuit suivra. Le gardien a fermé les grilles. Les enfants, qui quelques minutes plus tôt tapaient dans un ballon, malgré le froid, malgré les glissades, sont partis, qui pour rentrer chez lui, qui pour jouer ailleurs. Un chien est resté de l'autre côté. Il m'a regardé quelques secondes, mais a vite compris que je ne pouvais rien pour lui. Je l'ai regardé s'en aller. Courtes pattes s'agitant et truffe fumante.


vendredi 3 décembre 2010

Someday I'm gonna smack your face


C'était il y a quoi... 30 ans, sûrement un peu plus... Ancienne Belgique, les Stranglers allument la salle comme peu l'ont fait.  Autre époque, autre public, ça saute, ça se pousse, ça se bouscule, ça se balance des coups et des claques... ça fait partie du spectacle.  JJ Burnel balance l'un ou l'autre coup de savate à qui veut vérifier qu'il est vraiment teigneux.  Tout s'enchaine.  Deux heures de dinguerie.
30 ans plus tard ou un peu plus... Botanique... Hugh Cornwell, chanteur et guitariste des Stranglers, débarque avec son matériel.  Ca traîne un peu, mais on est patient.  On est une centaine, 50 ans au compteur. C'est parti.  C'est parfois approximatif, mais on s'en fiche.  Ca commence à sauter, ça commence à se pousser, ça commence à se bousculer, ça commence à se balancer... des coups et des claques partent en douceur... c'est vite fini... On s'amuse comme on veut.  Ca dure deux petites heures.  Et puis ça se termine, et puis il s'assied et propose son dernier disque à la vente avec sa signature pour qui veut. Grandeur et décadence ou choix de carrière... who knows... n'empêche, voir ce gars, figure mythique pour ceux qui, comme moi, squattaient les salles de concert fin des années 1970, négocier ces chansons, ça éclaircit les idées.

dimanche 28 novembre 2010

Ce sera un beau dimanche



C’est dimanche. Je reviens avec le pain et les pistolets. Je traverse le petit square. Il y a trois hommes qui discutent. Ils boivent des bières. A mesure que j’approche, je comprends que la discussion est agitée.

- Tu dois assumer mon vieux… Tant que t’assumeras pas, tu pourras pas arrêter de boire… c’est comme ça… t’es un alcoolique, point barre…

Celui à qui il s’adresse a le regard perdu, les coudes sur les genoux, la canette de 50cl entre les mains.

- T’es spicologue, toi ?

- Non, pourquoi ?

- Ben parce que mon spicologue y dit la même chose que toi… que si j’assume pas, j’arrêterai jamais de picoler ...

- Tu vois, je te fais économiser ton argent… Tu payes un coup ?

Je les dépasse. Ils me regardent sans me voir. J’entends qu’ils se lèvent, ils avancent en traînant les pieds. Je me retourne, ils entrent dans le café du coin. Il est 8 heures. Le soleil illumine les façades. Les oiseaux vont d’arbre en arbre. Ce sera un beau dimanche.


vendredi 26 novembre 2010

Les travailleuses invisibles



Elles arrivent tôt le matin ou tard le soir. Elles repartent tôt le matin ou tard le soir. Elles vident des poubelles. Elles frottent des bureaux. Elles changent des draps. Elles vident des cendriers. Elles remplacent des serviettes. Elles poussent des chariots . Elles regardent parfois par la fenêtre. Ces travailleuses de la nuit sont invisibles ou presque.
Au Xe étage de cet immeuble, sans doute cette femme frotte-t-elle la une tablette ou une table. A quoi pense-t-elle? Chante-t-elle? Est-elle heureuse? Qui l'attend? Vient-elle d'arriver? Va-t-elle bientôt s'en aller? Y en a-t-il d'autres? Où sont-elles?
Avant leur arrivée et après leur départ, les lumières sont allumées. Si elles s'éteignaient ou si elles s'allumaient, on remarquerait une présence, on saurait qu'elles sont là... C'est la lumière qui assure leur invisibilité...




mardi 23 novembre 2010

Au bord du terrain



 Il est assis au bord du terrain.  En tailleur, les coudes sur les genoux et les mains sous le menton.  Il a le regard perdu, triste. Il a 6 ou 7 ans.   Je viens de sortir, les adducteurs m’ont à nouveau lâché. Le temps de retourner mon maillot, de recevoir les félicitations et des mots de consolation de quelques équipiers, je m’approche de lui.  Tu es venu avec ton papa ?  Il ne répond pas.  Tu es venu avec ton papa ?  Il secoue la tête pour dire oui, sans changer d’attitude.  Nous regardons quelques mouvements approximatifs et quelques pertes de balle ridicules.  Il est où ?  Il me regarde … C’est le rouge… Celui en rouge, c’est l’arbitre… Il n’est pas très bon… Il s’est fait engueuler et insulter plusieurs fois… Là encore, il a quelques difficultés … Je regarde le gamin… Et toi, tu joues au foot ?  La tête fait non. Tu fais du sport ?  Un peu. Je ne saurai pas quoi.  Je saurai juste qu’il en fait un peu.  En tout cas, ton papa arbitre bien.  Il me regarde. Une chance qu’il est là, sinon, on n’aurait pas pu jouer.  Il se redresse.  Regarde… regarde, il a vu la faute… Il suit son père du regard.  Vraiment, il arbitre bien. Oui, mais il y en a qui ont crié sur lui… Oui, mais c’est pas grave, ça arrive… et puis, ils sont un peu bêtes… ils râlent parce qu’il a sifflé contre eux, mais il a raison. Le match se poursuit.  Il se trompe encore quelques fois, mais rien de grave.  Je continue à le défendre et à prétendre qu’il fait tout bien, ou presque.  Le gamin sourit un peu.  Le match se termine.  En tout cas, dis-lui qu’il a bien arbitré.  Moi, je vais aller le lui dire, mais dis-lui aussi, si c’est toi qui le lui dis, ça lui fera encore plus plaisir. Je ramasse mes chaussures et m’en vais à la douche.

 

vendredi 19 novembre 2010

Tu en veux?


Je suis assis. Tranquille. J’attends le métro. Les gens vont et viennent. Ils papotent. Ils lisent. Ils téléphonent. Arrivent deux dames congolaises, sans doute, d’environ 60 ans. Toutes de rires, d’éclats de voix et de couleurs. Elles prennent de la place. Je les regarde. Elles doivent parler d’une amie ou d’un mari. Elles rient de plus belle. Je les regarde encore. L’une des deux croque dans je ne sais quoi. 

« Tu en veux ? »

« Euh… » Je ne sais pas ce que c’est. Elle devine mon ignorance, mais ne dit rien et me tend un bout de quelque chose de dur, qui ressemble à du gingembre, mais qui a un goût beaucoup plus doux.

« C’est de la cola ». Je ne sais pas ce que c’est. Je continue à mâcher. Elle poursuit… « C’est de la cola. Et ce soir, là en bas…psss… Tu vas voir, ça va monter. » Elle agite son petit doigt et s’en va dans un grand rire, suivie par son amie. Elles me regardent et s’amusent du tour qu’elles m’ont joué.

Je comprends. Elles rient toujours. Je ris aussi. Je me rends compte que les voyageurs me regardent, sans rien dire, mais j’ai le sentiment qu’ils sont contents que cela ne soit pas tombé sur eux. Cela les tranquilise et ils peuvent en rire. Je termine d’avaler ma cola. La rame arrive. Je regarde les deux dames. Nous nous saluons d’un geste du petit doigt. Nous nous sourions.

Rien ne se passera.


mercredi 17 novembre 2010

Rame


Il dit « Quand même, je suis un vieux machin maintenant… »

Elle dit « Mais Lucien, pourquoi tu dis ça ? »

« Mais tu vois bien quand même… »

Il sourit. Il s’est arrangé. Les cheveux ont reçu de la brillantine. Il a mis une veste propre. Et le pantalon de training est assorti. Et puis, il a mis sa casquette. Ils se regardent et sourient. Puis, ils continuent à se parler. Ils se sont retrouvés via internet. Il n’y connaît rien, mais là où il va, on l’a inscrit et c’est comme ça qu’ils se sont retrouvés. La discussion s’arrête. Chacun regarde devant lui.

Nouvel arrêt. Peu entrent. Plusieurs ont un gobelet de café. On dirait une série américaine. Ils jouent à être en retard. A ne pas avoir eu le temps de déjeuner. Ca donne un genre. Bientôt Schumann. Les gobelets descendent.

Il dit « On descend ici ? »

Elle dit « Si tu veux. Mais je dois aller chez ma sœur pour midi »

Ils descendent. Ils n’ont pas l’air de savoir la direction à suivre. Ils iront à gauche.


lundi 15 novembre 2010

J'adore la Saint-Verhaeghen


Je dois avoir 5 ans . Ma main est dans celle de mon papa. J’aime bien ça avoir la main dans celle de mon papa. Il boîte. Il a une béquille. Il s’est blessé au travail. Nous marchons tranquillement. Je crois que nous sommes dans la rue Neuve. Il y a des cris, des chants. Nous sommes devant plusieurs grands avec de longs tabliers blancs. Ils veulent de l’argent. Papa refuse. Ils menacent de lui jeter de la farine à la figure. Il les regarde. C’est non. La farine tombe sur la veste de papa. Il lâche ma main et écrase le nez de celui qui l’a enfariné. Il ne savait pas à qui il avait à faire.

J’ai 15 ans. Il y a du bruit dans les couloirs de l’école. Des cris, des chants. La porte s’ouvre. Entrent cinq, six gars avec de longs tabliers blancs, des chopes pleines de pièces. La professeure de physique leur demande de partir ou elle ira chercher le directeur… Elle part… Ils nous demandent des pièces. Quelqu’un se lève et s’en va fermer la porte. Les cinq, six gars repartiront les tabliers déchirés et les chopes vides. Nous étions jeunes mais teigneux.

J’ai 38 ans. Mes filles ont peur d’aller à l’école. On leur a dit que des grands avec des longs tabliers blancs vont venir et qu’elles devront leur donner de l’argent, sinon ils leur jetteront de la farine et des œufs. Je les accompagne. Je prends la couche-culotte de la dernière-née avec moi. Il y a foule devant l’école, mais aucun enseignant. Les petits se débrouillent comme ils peuvent. J’avance avec elles. On nous bloque le passage. On pousse. On nous bouscule. Je ne peux m’en empêcher… la couche pleine finit sur la figure de celui qui en fait trop.

Chaque année, en novembre, quand le cortège des étudiants arrive dans le centre-ville, je quitte mon bureau. Il y a des cris, des chants. Ils sont des centaines. Ca boit, ça pue, ça vomit. Je les suis au hasard et je leur crache dessus. Je privilégie les cheveux et le cou. C’est lâche, je sais. Que voulez-vous, je suis moins jeune, mais toujours teigneux. J’adore la Saint-Verhaegen.

PS : c'est ce vendredi que les étudiants fêteront ça... je me réjouis 


samedi 13 novembre 2010

Paraît que c'est la journée de la gentillesse...


 
Il y a le « T’es où ? » (et ses variantes) que l’on entend des dizaines de fois sur la journée.  Il y a quelques années, Maurizio Ferraris avait consacré un livre savant et très drôle sur cet objet – le téléphone portable – qui allait transformer notre vie et notre identité, et « T’es où ? » en était l’un des signes, la phrase désormais la plus prononcée au monde. http://www.albin-michel.fr/T-es-ou--EAN=9782226171047

Et puis, il y a le « Tu m’as appelé ? »… Que n’entend-on cette question ?  Il nous arrive tous d’appeler et de ne pas avoir de réponse.  On laisse un message ou pas.  L’intérêt des machines c’est de faire les choses à notre place. Alors, moi, quand un téléphone m’annonce que X m’a téléphoné, je n’ai aucun doute.  L’important n’étant pas de savoir s’il m’a effectivement appelé, mais pourquoi il m’a appelé.  C’est  vrai c’est agaçant ça… comme quand votre conjoint(e), votre fils ou votre chat vous dit « Tu m’as parlé ? » Jusque là, je n’ai tué que mon chat, mais faudrait pas pousser le bouchon.  On imagine pas qu’on vous appelle pour vous dire ‘Eh, je t’appelle ! »… vous vous diriez, quelle clette !!! ben oui tu m’appelles, je l’entends !! Et bien non, une machine vous signale que Y vous a appelé et qu’est-ce que vous faites, vous rappelez Y pour vérifier … Souvent, la proximité des autres m’est pénible, mais alors quand y’en a un qui n’a rien de mieux à dire que « Tu m’as appelé ? » j’ai qu’une envie, que son téléphone lui pète à l’oreille.


mercredi 10 novembre 2010

Un cookie et deux brownies vivaient heureux



Le métro de Bruxelles est parsemé d’œuvres d’art.  C’est sans doute sa principale qualité ; oui oui, les rames roulent mais c’est ce qu’on leur demande et ce pourquoi on paie finalement.  Celle de la station Botanique (en fait une de celles, car il y en a trois) est ma préférée. Imaginez un cookie au chocolat et deux brownies géants à portée de main… et vous aurez compris mon émoi chaque fois que j’y passe.  Et puis, patatra !!! L’obsession du contrôle a frappé.  Depuis quelques semaines, les portiques électroniques poussent dans les stations souterraines, et bientôt, sans titre de transport, on n’entrera pas.  Changement radical dans nos habitudes bon enfant qui ne semble déranger personne. Soit. Mais là… là… ça ne va pas… Je ne connais pas grand chose à l’art, à la sculpture, aux artistes, à ce monde aérien bien trop haut pour moi, mais bon, j’imagine que celle ou celui qui a imaginé ces brownies et ce cookie éparpillés dans ce vaste hall d’entrée savait ce qu’il voulait.  Et j’imagine que celui ou celle qui a passé commande savait à quoi il s’engageait.  Depuis peu, le cookie et les brownies sont séparés par une barrière de portiques de métal et de plexitruc.  L’ensemble n’en est plus un.  La composition s’est décomposée.  Ca ne ressemble plus à rien.  C’est devenu moche. Je ne sais pas qui a décidé de les séparer, mais pour celle ou celui qui l’a fait, je n’ai qu’un mot « Andouille ! »


dimanche 7 novembre 2010

Sonnez et on vous ouvrira



Dimanche 8h30.  On sonne. Ca ne peut être qu'eux. Je descends leur ouvrir.  Je prends bien soin de rester derrière la porte pour qu'ils ne me voient pas.  Entrez, n'ayez crainte que je leur dis. Une chaussure noire brillante arrive lentement, puis un bout de mallette. Je ne me suis pas trompé.  Ils entrent tous les deux. Signor Bortolini?... Il fait sombre, j'ai pris soin de ne pas éclairer le couloir.  Les ténèbres ne vous font pas peur j'espère.  Je referme et me colle dos à la porte. Ils me regardent, muets.  Je leur fais face, souriant, nu. Je les vois à peine, mais je sais que leurs costumes sont impeccables, que leurs ongles sont parfaitement limés, qu'ils sont coiffés comme pour leur première communion.  Alors, dites moi... Le silence ne les quitte pas. Ils se regardent.  Je bouge légèrement... Venez, je vais vous faire un café et vous me parlerez de mon âme... No, no... nous reviendrons une autre fois... Mais non, entrez, vous êtes là... No, excusez-nous, c'est une errore, nous reviendrons.  Je tire lentement la porte et les libère.

jeudi 4 novembre 2010

John Mc Enroe



La semaine dernière, j’ai vu John Mc Enroe à la télévision.  Souriant. Grisonnant. Je ne sais pas ce qu’il faisait là, j’avais allumé le poste comme ça et il était à l’écran.  Quelques mots sur sa carrière.  Quelques images de ses coups de gueule. Le blablabla habituel ou presque. Et puis arrive un grand jeune homme, je ne connais pas son nom, mais je sais qu’il est prestidigitateur.  J’aime bien les prestidigitateurs. Lui, chaque fois qu’il vient, il fait son numéro avec l’invité.  Ce soir, ce sera avec John Mc Enroe.  Il met l’invité à l’aise avec quelques mots de bienvenue, avec quelques mots sur le temps ou l’actualité. Puis, il y va.  Là, il sort un paquet de cartes de sa poche de jeans.  Il l’ouvre, en sort les cartes et les écarte en éventail.  Il demande à John Mc Enroe de choisir une carte, lui demande de la montrer au public et aux caméras.  Il lui demande d’écrire quelque chose sur la carte, de la plier en huit, de la déplier, de la replacer dans le jeu et de remettre toutes les cartes dans le paquet.  Il dépose le paquet sur une table.  Il va prendre une boîte de balles de tennis, une raquette et demande à John Mc Enroe de taper ces quelques balles contre le mur devant lui et d’arrêter quand il le souhaite et de lui donner la dernière balle jouée.  Voilà qui est fait.  John Mc Enroe tend la balle.  L’autre la prend, sort un canif et entreprend de découper la balle ; ce n’est pas simple, mais il y parvient et, bien sûr, la carte choisie, recouverte de lettres et pliée plusieurs fois s’y trouve.  Applaudissements sur le plateau.  Je n’applaudis pas, mais je souris. Mon fils fait waow !

Je crois bien que j’aurais aimé être cette carte.  Etre quelque chose que l’on attend.  Quelque chose que l’on découvre avec surprise, étonnement, envie.  Bon, je n’irai pas jusqu’à dire que j’aurais aimé sortir de l’œuf sans crier gare, chiffonné et marqué… mais quand même… susciter l’intérêt à ce point – viendra viendra pas… sera sera pas… - ce n’est pas mal…  Alors que, oui, j’ai été attendu des années durant, je ne me décidais pas à arriver, et quand ma venue a été confirmée, tous se réjouissaient qu’enfin, ma mère attende un bébé, moi.  Cette attente a été à la mesure de la sensation de déception que j’ai souvent ressenti me concernant, tout ça pour … ça. Pas mal mais peut mieux faire, pourrait être l’appréciation d’un hypothétique bulletin de ma vie.

Alors, c’est vrai qu’être un joker, un atout, la carte qui manque pour gagner, celle qui tombe à point nommé alors qu’on ne l’espérait plus et qui vient mettre à mal la stratégie de l’adversaire… j’aurais aimé… Au lieu de cela, je suis une carte que l’on garde, car elle peut servir, mais au fond, celle-là ou une autre … alors, cela peut-être un deux de cœur ou une dame de trèfle ou un cinq de carreau ou encore le dix de pique…  peu importe, ... une carte donc dont on ne veut pas se débarrasser, qui a ou aura peut-être son utilité ou son intérêt, mais sans plus.

Cela présente cependant, au moins, un avantage.  On ne fait pas vraiment attention à vous.  On sait que vous êtes là, mais on ne fait pas vraiment gaffe.  Passer inaperçu. Ne pas avoir l’air d’y toucher.  C’est bien... Oui, c’est bien... mais franchement... j’aurais aimé retenir un peu plus l’attention, comme cette carte sortie d’une balle de tennis qu’aurait joué John Mc Enroe.


mercredi 3 novembre 2010

Allez slama!



Elle a le téléphone bien calé entre son foulard et sa joue et elle parle.  Elle sourit.  Elle mimique.  Elle est contente de lui parler. J’ai tout de suite voulu lui dire de ne pas se laisser faire, qu’il se foutait d’elle.  Mademoiselle, ne l’écoutez pas, il raconte des carabistouilles ! C’est pas la peine de l’écouter !! J’aurais commencé comme ça.  Ensuite, j’aurais eu les arguments.  Vous pensez, un gars qui prétexte systématiquement être arrivé à la gare pour ne pas poursuivre une conversation… Mais non, elle sourit, elle écoute, elle s’étonne légèrement… encore… tu es encore à la gare !, le ton de sa voix est très légèrement monté, mais très vite le sourire reprend le dessus.  Cela n’a plus duré longtemps.  Il a sans doute raccroché.  Elle a haussé les épaules. Le téléphone est resté bien calé.  Elle a coincé sa main sous son menton et elle regarde par la vitre.  Ca sonne.  Chopin ? Mozart ? en tout cas, du classique.  Elle répond. Naaaan ! Pfff… keski croit… ksa va durer longtemps ??? Elle écoute… Ouai j’arrive à la gare là… yma dit kil devait prendre le train… tous les jours la même chose… Ouai y sfout de ma gueule clair… Ouai ouai jvais aller le trouver… Allez slama. Le tram s’arrête, elle se lève et descend à la suite des nombreux autres.  Je la regarde qui s’en va, décidée.  Je crois qu’il a intérêt à ne pas être là.


dimanche 31 octobre 2010

En route vers l'oubli


Il avait été décidé que les cimetières seraient supprimés. Après une période de désarroi, les habitants du quartier s'étaient réunis pour trouver une alternative au "Chaque citoyen sera désormais responsable des membres de sa famille décédés. Il lui incombera de prendre les mesures nécessaires pour gérer les désagréments éventuels qu'un tel événement entraîne. Toute contravention à cet impératif d'hygiène et de santé publique sera sévèrement punie" qui se trouvait en gras et souligné dans le courrier laconique et impersonnel que chacun avait reçu.
Après quelques heures, Monsieur Paul avait proposé d'enrober les défunts dans le plâtre et de les représenter dans une situation qui rappelleraient qui une particularité, qui un événement.
Il fut décidé d'utiliser les anciennes galeries commerciales souterraines désaffectées pour en faire une sorte de mausolée - un Musée de Madame Tussaud macabre avaient prétendus certains - où chacun pourrait venir à sa guise. Sourires et applaudissements clôturèrent la rencontre.

jeudi 28 octobre 2010

J'irai chanter comme Paul Louka



Les musiques du monde... quelle drôle de bazar quand même... Beaucoup l’on déjà dit, c’est une catégorie fourre-tout où l’on met ce qui ne trouve pas sa place ailleurs... Mais bon, moi quand j’entends musiques du monde je pense aux pizzerie et aux snacks pitta.  C’est à croire que quitter son pays vous transforme comme par enchantement en pizzaïolo ou en joueur de djembé.  Bon, c’est vrai que ça peut passer... on mange des pizzas surgelées imaginées par un docteur et on se pâme devant trois notes qui tournent en boucle quand elles sont mixées par un DJ... alors, je crois que ça peut passer.  Et pourtant, c’est chiant le djembé... à croire qu’effectivement ils n’ont que le rythme dans la peau... même si ceux/celles qui se trémoussent sur cette ribambelle de battements vous diront que non, qu’ils aiment cela...  J’ai un léger doute...

L’autre jour, j’étais dans une fête-brocante, dans une commune de la périphérie de Bruxelles.  Ce genre d’endroit où l’on trouve de tout pour presque rien.  On y vendait des sandwiches boudin, des vélos, des fleurs de saison... de l’ethnique local quoi... et il y avait trois Africains – enfin je dis Africains, mais j’en sais rien finalement... – des Africains donc, qui tapaient comme des sourds sur leurs djembés... c’était pour faire exotique sans doute... sinon, pourquoi les avoir mis là? C’est un peu comme les Indiens que l’on voit dans toutes les villes touristiques avec leur tenue d’apparat. Voilà des Boliviens qu’on prend pour des Sioux qui jouent en boucle une espèce de soupe new-âge produite à Munich au fond d’une cave aux vagues relents de bière plate.  Quel sens cela peut-il avoir ?

On pourrait franchement inverser les rôles. Je vois bien des Brabançons pure laine enfiler leurs plumes, se mettre souffler dans une flûte de pan et aller jouer des incantations à la pluie sur un marché de La Paz.  Ils auraient certainement un succès de foule.  Enfin, je m’avance peut-être... parce que vu de La Paz, c’est quoi les musiques du monde ?  On y sera sans doute plus surpris d’entendre Julos Beaucarne et son joli pull bariolé qu’un groupe de hard-rock brésilien vociférant dans un anglais de supermarché... Allez c’est décidé quand je partirai loin, là-bas au bout du monde, je ferai marchand de frites ou je chanterai du Paul Louka, c’est sans doute ça que font les Belges quand ils vivent loin d’ici.

(Ce billet passera sur Radio Campus samedi 30 octobre entre 15h et 16h dans l'émission BabelOndes)


mardi 26 octobre 2010

Oooh Signore!



Nous sommes à Rome depuis deux heures.  Nous avons laissé nos bagages et sommes sortis pour découvrir la ville. Nous passons il Ponte Palatino. Quelqu'un m'appelle. Signore!! Vieille Mercedes. L'homme, la soixantaine brillantinée, se débat avec une carte. Je m'approche. Non sono di qua... Cette révélation ne le démonte pas. Il me demande dans quel sens il doit aller pour quitter cette foutue ville. Voglio ritornare a Milano!! Je lui dis qu'aller dans l'autre sens me semble une meilleure idée. Il sourit. Francia? Parigi? Non Bruxelles....Aah la Belzique... Ho des z'amis à Lièz. Il me regarde. Lei è molto sympathique. Sono rapprèsentant per Armani. Il me tend une vieille farde avec de vieilles photos avec de vieux mannequins portant des vêtements des années 1990. Je regarde... hum hum... Lei è molto simpatico. Ecco zè vou donne questa bolsa a la damoizelle - il donne une copie de je ne sais quel sac de marque à Emma,  fille 12 ans, - è per Lei, ecco qua un giubotto vero cuoio. Je prends un épais blouson de cuir noir. Ugo,  fils de 10 ans, regarde tout cela avec cette ironie que nous partageons. Ecco... Signore, la mia carta bancaria non va. Zé doit ratourner à Milano. Lei mi da un po di soldi? Je le regarde. Il me regarde. Je lui tends 10 euros. Ma come!!!??? Questo è cosa di niente... aussi vite donnés, aussi vite rendus, le sac et le giubotto regagne la banquette arrière. Il démarre et nous laisse avec un joyeux Ma và fanculo!!!

 

vendredi 22 octobre 2010

C’est là que je vais boire mon verre !



Cela se passe dans le tram.  Un samedi, un début de soirée.  Il y a peu de monde.  Quand c’est comme ça, on a vite fait d’avoir l’impression de se connaître.  A 5 ou 7, ce n’est pas compliqué.  Et on regarde vite celui qui monte qui comme un intrus, qui comme un potentiel pote.  Arrêt Churchill, ils montent à trois.  Ils rigolent.  Bonne humeur de début de soirée.  On papote. On met un peu d’ambiance.  On se lance dans un concours de grimaces.

C’est là que je vais boire mon verre !  Celui qui les apostrophe est assis.  Rond, souriant de gauche à droite et emmitouflé comme par -20°.  Ils le regardent, sourient, auraient envie de se moquer, mais il poursuit. C’est là que je vais boire mon verre ! Pas à côté hein, pas à côté. A côté c’est trop cher, c’est deux euros cinquante. Et moi, je paie un euro vingt où je vais. C’est cher à côté. Et c’est pas malin de demander deux euros cinquante.  Il les regarde, toujours aussi rond, toujours aussi hilare.  Ils font hum hum du bout du nez.  Mais oui, c’est pas malin, c’est la même bière, du coup, j’y vais pas à côté, c’est trop cher, moi je paie un euro vingt, c’est là que je vais boire mon verre ! Ils ont perdu un client hein, c’est pas malin ! Il les regarde rond et hilare qui se dirigent vers l’autre bout du tram. Non, c’est vraiment pas malin !

lundi 18 octobre 2010

Connard



Repas du soir, c’est  le moment des discussions, savoir comment s’est passée la journée, écouter distraitement les nouvelles des écoles respectives.  J’écoute un peu plus attentivement.  Le plus petit parle.  Cela se passe en fin d’après-midi.  Dans une école primaire. On joue dans la cour.  Et alors, il y avait un de 4e qui arrêtait pas de frapper les filles.  Qui ça ? demande la plus grande. Tu le connais pas, c’est un nouveau. Et alors ? Ben, il continuait. Et vous ne faisiez rien ? Oui oui, on lui disait d’arrêter, mais il continuait. Et alors, il y a I. qui lui a dit que ça allait comme ça. Et alors, l’autre, il l’a poussé. Alors I. il l’a repoussé. Et tu sais, le papa du garçon était arrivé et il est arrivé chez I. il l’a pris par le bras et il a dit Toi sale Arabe, tu touches à mon fils, je te tue ! Tu t’imagines,  son papa il est policier ! tu t’imagines un policier qui dit ça à un enfant de 10 ans ! Il est bête ! Ben oui, c’est ce qu’on a dit à I. quand il est parti.


vendredi 15 octobre 2010

Tram de l'histoire



« Moi, dans le tram, je plains ceux qui ne lisent pas…» C’est Ariane Lefort, grand auteur belge,  qui dit cela dans une interview à l’occasion de la Fureur de lire.  Alors sans doute est-ce normal d’insister sur l’importance de lire.  Je ne peux m’empêcher de penser à ceux qui ne savent pas lire, à ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un livre,  à ceux qui sont éreintés par leur journée de travail et qui n’ont pas la tête à ça, à ceux qui ont peur de l’écrit, à ceux que l’idée de bibliothèque ou de librairie effraie, … Cela m’a fait penser à mes 14 ans.  A la télévision, j’avais entendu parler de Socrate.  J’avais eu envie de lire.  J’étais allé dans une librairie et j’avais demandé « Monsieur, je cherche les livres de Socrate ».  Il avait souri.  Il m’avait regardé. « Socrate n’a rien écrit. »… et il s’en était allé… Je me suis senti idiot.  Je suis parti, rapidement, un peu honteux et je ne suis jamais retourné dans cet endroit.  Sans doute aurais-je commencé à lire Socrate dans le tram… si…
Dans le tram (ou le bus ou le métro ou le train) moi, je ne plains personne ; ou alors tout le monde pour les conditions dans lesquelles nous voyageons, mais c’est une autre histoire ; ce que j’aime ce sont les gens qui parlent, les gens qui rient, j’aime ces histoires partagées.




mercredi 13 octobre 2010

M... l'Enchanteresse


Le repos forcé se prolonge.  Je continue de passer du divan au canapé. Dormir et  lire.  J'ai beau avoir plus de livres que je n'en lirai, peut-être, jamais; car je mourrai demain qui sait; je n'ai pas celui qu'il me faut, là, tout de suite.  Passage obligé par la case librairie. Ce sont les mains de Manuel F., une des femmes qui a le plus compté dans ma vie. Elle est libraire chez Tropismes. Nous nous connaissons depuis 25 ans au moins. Nous ne nous voyons que là. Nous nous vouvoyons depuis le début ; il y a longtemps, un tutoiement de 3 minutes nous fut pénible à tous les deux, alors c’est le Vous qui continue de nous relier. Elle ne le sait pas, mais Manuela a plusieurs fois changé ma vie. Comme certains, quand cela ne va pas fort, je vais chercher la consolation dans les livres, dans les mots, dans les histoires. Il me suffit de dire que je voudrais soigner un mal d’amour, que je voudrais avoir moins peur le soir en fermant les yeux, que j’aimerais aller sur la Lune… et telle Merline l’Enchanteresse, elle me trouve la potion de mots qu’il me faut. Elle m’a fait découvrir Annie Dillard. Elle m’a fait découvrir Raymond Carver. Elle m’a permis de rencontrer Erri de Luca. Sans elle ma vie serait moins belle. Sans elle ma vie serait moins dense. Sans elle, je serais cynique. Grâce à elle, je suis simplement désespéré.

jeudi 7 octobre 2010

Sur la photo en bas à gauche




Il ne manquait plus que ça... et dans le journal encore bien.  Je me disais, mec si t’as pas trouvé de quoi remplir la grande gueule de ce connard d’inspecteur avant demain matin, gare à tes fesses.  Et bien là, j’avais de quoi lui clouer le bec que même à ‘SOS Répar’ ils pourraient rien pour lui.  Il est là le putain d’indice, dans le papier de ce fouille merde de Durieux – enfin pas dans l’article, ça tout le monde s’en fout – c’est sur la photo, en bas à gauche, le miroir de l’armoire, on y voit un gant.  D’accord, faut bien regarder, mais c’est pas croyable, les mecs de la boîte, ils ont mitraillés tout ce qui ne bougeait plus, à commencer par cette pauvre vieille à qui on avait mis la tête sous le paillasson en appuyant bien fort pour être sûr qu’on la trouverait pas, et bien pas un seul cliché qui montrait de gant à quatre doigts.  Comment ont-ils pu rater ça ?

Cinq jours qu’on s’est cassé le cul pour trouver quelque chose, résultat : que dalle !  et l’autre ignoble qu’arrêtait pas de gueuler que si samedi on avait rien, on allait voir.  Tu parles… Je vais la lui mettre dans la gueule moi l’armoire et la main avec !

Faut dire, pour être de bon compte, que Conchita, elle nous a pas facilité la tâche.  Imaginez.  Elle entre dans la chambre, elle trouve la vieille la tête en forme de crêpe bretonne et qu’est-ce qu’elle nous fait ??? elle range, elle frotte, elle astique, elle pomponne, elle désodorise, elle refrotte, elle essuie.  Plus rien qui nous restait, encore un peu elle reperruquait la vieille qui ni vue ni connue aurait terminé sa sieste sans plus être dérangée.  Et nous on la regardait faire, on en revenait pas… du jamais vu.  C’est quand elle nous a demandé si on voulait bien sortir, le temps qu’elle passe l’aspirateur qu’Antoine, ça l’a contrarié.  Il lui a mis une droite tellement droite qu’à côté d’elle, la vieille avait tout à coup l’air plus sympathique. 

Mais ça n’a pas duré.  Pensez, ça faisait bien cinq heures qu’elle devait chercher sa tête sous le paillasson, et à cet âge là, vous savez ce que c’est, on ne retient plus tout ce qu’on veut.  Alors, épuisée, elle a tout lâché.  Tout est parti.  Tout je vous dis, et nous aussi.  On n’en pouvait plus, j’sais pas ce qu’elle avait bouffé la vieille, mais jamais je donnerais ça à mon chat, jamais.  Enfin, on est sorti en gueulant bien de toucher à rien, surtout à Conchita ; mais pour être sûr Antoine a balancé l’aspirateur par le fenêtre « On sait jamais ! » qu’il a dit.  Personne a relevé.  Il est comme ça Antoine, quand quelque chose n’est pas à sa place, il balance.  La dernière fois, c’était chez Gino, le bar où on rallonge nos journées quand elles sont trop courtes.  Y’avait un type qu’arrêtait pas de chanter.  Ca n’a fait ni une ni deux, il lui a mis la tête dans le juke-box, entre Frank Sinatra et Dario Moreno.  A sa place, j’aurais pas été à mon aise, pensez, le type c’était plutôt le genre Parsifal qui le branchait, rien à voir avec Sinatra ou Moreno.  J’y connais pas grand chose, mais Parsifal, on m’a dit que c’est l’histoire de la quête du Graal, et bien le type, on peut dire que la coupe elle était pleine et qu’Antoine, ben c’était la grosse goutte qui l’a fait déborder.

Soit, on avait donc laissé les deux femmes se remettre de leurs émotions.  Quand on est revenus, la vieille, ses esprits, elle les avait définitivement perdus.  Conchita, par contre, émergeait dans une confusion toute ibère, à laquelle personne ne comprenait rien – mais bon on s’est bien douté que c’est sur nous qu’elle gueulait.  Pour plus avoir à l’entendre, on lui a dit de partir.  Et on a continué notre boulot pépère.

Les gars du SAMU sont arrivés peu après, et ils ont embarqué la vieille.  C’est là qu’on s’est dit qu’on aurait du attendre avant de renvoyer Conchita, parce que la vieille, dans son état, elle a pas pensé à emmener toutes ses affaires, et on peut dire qu’elle était dans de sales draps.

Si je vous ai parlé de Gino, c’est pas pour l’opéra.  Dans son bar, à Gino, on peut dire que s’y arrête tout ce qui a de plus louche dans cette ville.  Pensez, il est à 50 mètres de la prison, alors ça défile.  Antoine et moi, on y passe souvent.  On prend les paris sur le prochain qui fera une connerie et qui se fera prendre.  On peut dire qu’y en a qu’on pas de chance, aussitôt sortis aussitôt ils replongent.  Question de style sans doute.

Un jour Antoine, il a eu une idée.  Il a demandé à Gino ; enfin demandé, maintenant que vous connaissez Antoine, vous aurez compris que c’est pour la forme ; il a demandé d’installer des caméras pour pouvoir repérer  des louches et surtout leurs potes qu’ont encore rien fait mais que ça ne saurait tarder.  Gino, qui connaît le pedigree d’à peu près tous ceux qui posent leurs fesses dans son bar, note les noms de ceux qui sont passés, il est serviable Gino, mais il a pas de mémoire, alors, comme la dernière fois qu’il a hésité pour un nom, Antoine lui a demandé d’accélérer le débit à coup de tabouret,  il note, c’est mieux comme ça qu’il a dit.  Comme ça on sait qui travaille avec qui, ça aide pour les paris.

Vous allez pas me croire ... le seul gars dans le coin qui a quatre doigts, vous savez qui c’est?  Le frère du patron !! Un ex-taulard un peu maniéré qui se fait tout faire sur mesure, même ses gants… 5 doigts à l’un et 4 à l’autre… quand je vous disais que j’allais la lui murer moi sa grande gueule !!  Mais d’abord, faut que je parie avec Antoine, parce que ce coup-là, il pourra jamais trouver.


mardi 5 octobre 2010

Cent seize balles et quelques




Une semaine à la maison. Repos. Je pense à ‘Une semaine de vacances’ film de Bertrand Tavernier, du début des années 1980.  Nathalie Baye, jeune enseignante, craque.  Elle a une semaine de repos.  Elle en profitera pour faire le point.  Voir ceux qu’elle n’a plus vus depuis longtemps.  Pour moi, aucun point à faire et personne à voir, ils sont quasiment tous morts et les autres, c’est pas la peine.  Alors je passe d’un canapé à l’autre et je lis. ‘Cent seize Chinois et quelques’, roman de Thomas Heams-Ogus me bouscule. Par l’écriture d’abord. Par l’histoire aussi. Il raconte l’épisode méconnu de l’internement de cent seize Chinois et quelques, sur ordre du gouvernement fasciste, dans les Abruzzes. Cela me fait penser à mon père (à droite sur la photo), cela me ramène à ses histoires de feu et de sang, où ce gamin, il avait vingt ans, tâchait de sauver sa peau comme il le pouvait.  Il a tué. Il a déserté. Il s’est caché. Il en parlait peu.  Je ne crois pas que ce soit, seulement, parce que ça ne l’intéressait pas, mais  parce qu’il était du mauvais côté et que cela aurait été malvenu d’en parler. Les cent seize Chinois et quelques ; l’ensemble de la communauté chinoise dans l’Italie mussolinienne ; deviennent du jour au lendemain des indésirables. « Mais un jour l’idée simple et peut-être enivrante de rassembler en un lieu tous les Chinois d’Italie, quelques dizaines, germa. Ils ne menaçaient personne, mais ils étaient les ressortissants d’une puissance ennemie, une parmi tant. C’était leur seul crime, ils devinrent des cibles.  On les traqua mais sans conviction particulière, sinon que du jour au lendemain on avait décidé qu’ils ne pouvaient pas ne pas être traqués. »  On peut penser à d’autres groupes qui subissent aujourd’hui des décisions semblables.  L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs et par les puissants. Heureusement il reste les écrivains.


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